Vous avez dit symbole?

Vous avez dit symbole?
Sur les tatamis et autres rings, différentes conceptions des arts martiaux/sports de combat, différents courants politiques s'observent amicalement, différents styles de vie cohabitent, apparemment sans trop de problèmes.
Certains se réclament d'une volonté de contacts violents, d'autres d'une recherche plus spirituelle et/ou d'une, plus ou moins, LIBRE Pensée. D'autres sont croyants et parfois pratiquants d'une des trois grandes superstitions monothéistes moyen -orientales.
La croyance, comme la non - croyance, doivent rester, aux yeux de tous, des cheminements différents, également enrichissants.
Nous sommes réunis par une forme d'entêtement infantile à progresser dans la/les voie(s) martiales(s). Mais aussi, par une amitié et une estime réciproque, née en suant et en travaillant en commun, lors de nos entrainements.
Symbolique, vous avez dit symbolique?
Comme c'est bizarre!!!
Rassurez-vous, l'énumération des différentes définitions du symbole et du symbolisme, que l'on trouve un peu partout dans la littérature, vous seront épargnées,
Je préfère partir de ce que le linguiste Umberto Ecco appelle le "système des Dérives Hermétiques" dans lequel la pensée vagabonde, sans logique apparente, guidée par la seule intuition. La Dérive Hermétique n'est pas rationnelle, elle s'oppose à la logique!
Prenons l'exemple d'une longue conversation entre plusieurs très proches amis :
Au bout de quelques heures, un mot en amenant un autre, de métaphores en déductions, d'analogies en 'coq à l'âne', le sujet originel - prétexte de ce polyphonique discours - se trouve enfoui sous des strates de rhétoriques et de délires verbaux, alliant plaisanteries et émotions diverses.
Pourtant, ce genre de rencontre réunit quelque part, le visible et l'invisible, l'amitié et la somme des idées de chacun, les opinions antagonistes et le respect pour l'autre .
Certains croyants (je suis athée ,vous l'avez deviné!) prétendent qu'un Dieu tout puissant sait remonter au premier carrefour, dans l'histoire de l'Univers.
Même si cette tâche mythique semble écrasante, elle reste à mes yeux, moins délicate que d'aller explorer le dernier sentier, tracé par un être humain, dans la forêt de ses pensées polymorphes.
En maître de la pensée symbolique, Edgar Poe nous donne un exemple de déchiffrage de la dérive hermétique dans sa nouvelle intitulée ''Assassinat dans la rue Morgue''1.
Dans cette histoire, au cours d'une promenade en ville, un certain Auguste Dupin analyse les pensées du narrateur, en partant d'éléments (signes ou symboles ) rencontrés en cours de route.
Partant de Chantilly, d'Orion, d'un médecin, d'Épicure, de la Stéréotomie, des pavés de la rue pour arriver à la rencontre avec un fruitier, il arrive, par analogies successives (qu'il nomme les anneaux principaux!), à la réflexion sur le nanisme du fils du cordonnier.
Le récit se déroule inexorablement, jusqu'à la résolution par ces mêmes procédés de déductions intuitives, d'une énigme, permettant la découverte de l'auteur d'un double crime
Dans ce récit, l'utilisation onirique (pléonasme!!!) de la voie symbolique, unifie conscient et inconscient, additionnant l'irrationnel au rationnel.
Les contenus inconscients deviennent visibles au conscient.
Les sportifs et autres artistes martiaux, intéressés par le sujet ici traité se doivent, à mon sens, de glissements sémantiques en analogies audacieuses, de réfutations en syllogismes, passer de l'unitaire au multiple, du sérieux au ludique, du rassemblé au dispersé, afin d'essayer de transformer le fermé en ouvert!
René Alleau nous dit, parlant de l'étendard (polysémique insigne rassembleur): ''On sait que l'image, représentant le clan, est toujours sacrée!''. Pourtant aucun d'entre nous ne doit transformer les symboles présents dans le dojo (portraits de Maîtres, tatamis, ceintures, etc.), en de nouvelles idoles, voire à les ériger en ex-votos ou bondieuseries diverses !
Contentons-nous - et cela représente déjà un magnifique chantier- de les considérer comme des évidences cachées, comme des éléments chargés d'une signification, dépassant leurs apparences.
Je retrouve ici, le possible sens de la belle expression, employée par le philosophe Michel Barat: La CONVERSION DU REGARD!
La lecture de nombreux ouvrages présents sur le marché, traitant du sujet, apparaissent certes indispensables.
Pourtant, considérons-les comme des exemples de formes de pensée, comme des GPS intellectuels, indiquant le chemin le plus logique, mais pas toujours le plus intéressant.
Les Hassidiques disent:'' Ne demande ton chemin à personne, de peur de ne pouvoir te perdre''
Penser avoir Trouvé semble intéressant, mais, beaucoup moins instructif que le chemin incertain de la recherche .
Vivons, en flânant, notre courte apparition dans le genre humain. Cela ne dure pas longtemps, pourtant, quel plaisir de se promener, en voulant ignorer l'évidence inéluctable : nous sommes nés pour mourir !
Puisque nous sommes passagers d'un train, en constante accélération, efforçons nous d'essayer de descendre en marche – le temps d'un rêve - pour rejoindre ce qui semble la quintessence de la voie symbolique : le plaisir de laisser l'esprit dériver, parfois à la vue de simples objets.
La simple réflexion peut nous amener à pénétrer par effraction, dans l'univers des sens cachés d'une phrase, d'une situation ou d'un concept. Nous pouvons, pour cela, nous aider d'objets usuels (ou de leur représentation), afin d' entraîner notre cerveau, à élever notre pensée!



Essayons, en utilisant observation et réflexion, de retrouver la vacuité de l'esprit enfantin, tout en nous efforçant de l'additionner à nos expériences d'adultes!!!

Prenons une boite de conserves de petits pois extra-fins. Je vous propose, de la transformer, momentanément, en bien primitive, Pierre Philosophale !

Un homme la regarde, nous l'appellerons l'observateur / le candide .

SI EN REGARDANT L'ÉTIQUETTE il pense :

" J'ai faim , j'aime les petits pois. Je vais trouver un outil, pour ouvrir cette boite, en réchauffer le contenu, afin de satisfaire mon appétit et ma gourmandise ."
L'action de chercher un ouvre- boite et de réchauffer le contenu, en vue de la réalisation d'un désir, montre une pensée pragmatique Notre observateur fait preuve d'un esprit empreint de rationalisme cartésien.

Si le Candide dit :
" Cette boite EST Dieu, je vais l'adorer jour et nuit ...."
Outre le fait que le comportement soit curieux, on peut, sans trop risquer d'être taxé d'intolérance, parler ici de fantasme!
La boite n'est pas un SYMBOLE, puisqu'elle EST DEVENUE DIEU. De plus nous nous trouvons, devant un cas, pour le moins, pathologique.

Si regardant cette boite, notre observateur s'écrie:

"Dieu est merveilleux!!! Il a créé l'homme, en lui donnant l'intelligence, permettant la culture des plantes, la découverte de la technique des conserves et la fabrication de cette boite. L'épicier qui me l'a vendue est l'envoyé du CRÉATEUR. L'éclat des Néons de l'épicerie, est la Lumière sur mon chemin de Damas. J'ai trouvé la foi .... Je dois répandre, le message divin, de part le monde !''
Dans ce cas.... il s'agit de mysticisme, plus exactement d'une bien curieuse RÉVÉLATION MYSTIQUE.
Ici, la boite EST l'œuvre de DIEU, elle n'est pas un symbole.
Elle est, dans l'optique de notre observateur, la PREUVE INDISCUTABLE de l'Existence de DIEU.
Si cette existence n'est pas, discutable (puisqu'il s'agit d'une preuve irréfutable !), la boite devient le contraire d'un SYMBOLE.
L'interprétation de tout symbole doit rester personnelle, donc discutable !

Si notre observateur dit :
" La Substantifique Matière de cet objet est en pleine transmutation. Les petits pois sont en train de se transformer. L' Épicerie est un Athanor. L'Épicier est la réincarnation du Grand NICOLAS FLAMEL. Il va transformer les petits pois en or, réalisant ainsi le Grand Œuvre.... "
Nous pouvons penser, dans ce cas, que le Candide a une approche EXOTÉRIQUE de l'Alchimie.
Il confond l'Or -MÉTAL et l'Or DES PHILOSOPHES .
Le véritable Alchimiste utilise son travail sur les métaux comme un support aux recherches sur lui-même.
La véritable Alchimie est ésotérique!

Autre hypothèse, notre homme décide de dire :

"Je vais me concentrer, invoquer les forces des ténèbres, prononcer quelques formules, aussi mystérieuses que magiques. Ensuite, je vais ouvrir la boite, remuer les petits pois avec une cuillère, afin qu'un énorme cataclysme interplanétaire se produise. Je vais utiliser le Microcosme pour agir sur le Macrocosme!"
Nous nous trouvons devant une utilisation inhabituelle de la voie symbolique
On peut légitimement penser être devant un délire, relevant à la fois de la psychiatrie et d'un désir compulsif d'Occultisme.

Si , enfin l'observateur déclare :

"Cette boite est expression de la capacité d'évolution de la société des hommes. Elle me rappelle l'Univers et les planètes qui l'habitent. Le microcosme est semblable au macrocosme ! Mon existence se situe, à un moment de la course du temps, a jamais induplicable, car : avant moi était l'infini et après moi sera l'infini...."
Notre observateur, prend conscience de l'épaisseur du langage symbolique, rendant justice à la complexité vivante des plans superposés, qui constitue le Monde.
Il utilise le couple symbolique "boite de petits pois / Univers'' pour s'aider à réfléchir sur la VIE, sur la mort, donc sur lui-même et peut-être sur l'autre.
Il s'agit d'une démarche ÉSOTÉRIQUE !
La Voie Symbolique devient le véhicule qui projette la pensée dans un monde Ésotérique, (réservé aux initiés)!!!

--------------------------------------------------------------------------------- Regardons maintenant, notre boite, d'un regard plus prosaïque:
Les différentes couleurs, présentes sur l'étiquette, rappellent les différentes couleurs des ceintures qui jalonnent notre progression.
Pourtant, la représentation picturale de nos légumes nous informe seulement que ces pois sont colorés en vert....... d'un seul côté!
Seulement d'un seul côté!!!
Cela peut nous amener à réfléchir sur la valeur de la couleur des ceintures et sur l'idée, que nous nous faisons des qualités (des défauts?) des différents pratiquants et instructeurs présents dans les dojos . . . et de nous-même !
L'image que nous projetons dans notre esprit est-elle juste ? Que vient faire l'apparence dans notre jugement?
Restons, simplement, fiers de nos constructives différences !

--------------------------------------------------------------------------------
Le sommet de notre boite est orné de cercles concentriques,
Ces différents cercles sont un rappel à l'humilité: certains jours notre pratique semble moins performante ou nous devenons moins tolérants envers les sportifs présents. D'autres jours tout va mieux. Dans les deux cas, nous restons de simples pratiquants;
La stabilité de notre boite doit, bien sûr, à la rectitude de l'angle réunissant le sommet et les côtés. Rappelons - nous la nécessaire discipline à l'intérieur du dojo.
Nous pourrions gloser sur les chiffres indiquant le poids du contenu, dans le genre 250 grammes :
2+5+0=7,
5-2= 3,
2x50=100,
c'est à dire :
1+0+0=1 l'unité, l'homme etc.

Depuis la brillante démonstration d'Umberto Ecco, faisant un parallèle, si mes souvenirs sont bons, dans ''le Pendule de Foucault,'' entre la distance de la terre au soleil, les Grandes Pyramides et les dimensions d'un kiosque à journaux, permettez-moi de rester prudent! On peut faire dire ce que l'on veut au chiffres, en les rapprochant/assemblant, selon l'humeur du moment, comme des phrases symboliques.

Revenons à notre boite:
elle est étanche, fermée, comme notre cerveau, qui parfois reste imperméable à la remise en question, au regards extérieurs et au regard VERS l'extérieur.
Le corollaire est tentant: Pouvons - nous nous aider de nos partiques martiales pour pénétrer cet HERMETISME? Ou plutôt, si la boite s'avère vide, pouvons- nous avoir l'humilité d'accepter la preuve notre ignorance ?
Quand nous débutons, la ceinture noire représente l'accession au suprême savoir. Arrivés à ce premier niveau, nous devons prendre conscience de l'immensité des choses que nous ignorons. Au cours de notre progression cette sensation va aller en augmentant. D'où la nécessité de rester humble
Gare au syndrome de la finitude!
Rappelons-nous, dans ''la Caverne'' de Platon, les paroles de Socrate répondant à Glaucon:
«  Ceux qui se sont élevés à ces hauteurs (ici la hauteur des grades !!!) ne veulent plus s'occuper des affaires humaines et leurs âmes aspirent, sans cesse, à demeurer là-haut. »____

Si nous faisons un simple trou, au sommet de notre boite, il ne se passe pas grand chose, un deuxième trou permettra au liquide de s'écouler à l'extérieur, un troisième ouvre la voie permettant de voir plus facilement à l'intérieur de cette caverne/matrice .
Une fois notre boite ouverte, que découvrons- nous???
Des petits pois, en apparence tous semblables. Pourtant, une observation attentive, laisse apparaître de grandes différences.
Sous une loupe grossissante, chaque petit pois,dans sa différence, reste bien imparfait. Nous resterons toujours des débutants!
Cette, plus ou moins évidente, rugosité, est atténuée, abritée par le jus, dans lequel ils baignent. On peut y voir le respect et l'amitié dû aux partenaires d'entraînement.
Partant de cette simple boite métallique, nous pourrions dériver encore longtemps.
Tout est symbole, à qui veut bien se donner la peine de réfléchir !
Je sais que je peux compter sur beaucoup des pratiquants d'arts martiaux pour affiner ces réflexions.
Nous devons nous efforcer de remettre en cause les certitudes accumulées. Efforçons-nous d'effacer le mot EMETH sur le front du Golem, de notre ego sur -dimensionné.!!!
Pour reprendre une image alchimique: calcinons, chaque symbole pour arriver à l'œuvre au Noir.
Partant de cette Œuvre au noir, censée purifier et régénérer notre regard, nous pourrons imaginer d'autres Pierres Philosophales nous permettant de redécouvrir, de ré-étudier, le monde merveilleux des symboles, dans lequel il fait si bon de flâner.
Un bouddhiste nous dirait:
Je regarde le symbole, le symbole est le symbole.

Je regarde le symbole, le symbole n'est plus le symbole.

Je regarde le symbole, le symbole redevient le symbole!!!!

Laissons la conclusion à notre cher Gaston Bachelard:

NOUS SOMMES COMME LES GOUTTES, PULVÉRISÉES DE LA CHUTE D'EAU QUI SE SUCCEDENT, AVEC LA VITESSE DE L'ÉCLAIR,
TANDIS QUE L'ARC EN CIEL EST TOUCHÉ, PAR L'IMMOBILITÉ DU REPOS
SANS ETRE perturbé PAR CE CHANGEMENT INCESSANT !
Alain Bouchaux
Mars 2009

Waouh ,

Bonsoir Monsieur Bouchaux , je viens de lire votre article et étant amateur de ce type d'écriture ( j'ai fais le chemin de Compostelle à pied , je fais du Slam poésie et j'ai un projet de carnet de chemin , enfin bref ..) quel choix de référence et quel structure !

j'aime beaucoup Gaston Bachelard et me suis réchauffé quelques nuits à la lueur de sa chandelle , et revenant de mon entrainement d' Hsing i Quan ce soir , ça me touche comme un rappel en profondeur ...

merci ,

Greg .